samedi 13 novembre 2010

Deux mois sombres

Dépression - Van Gogh

Ma motivation s'écroule, J'ai un dynamisme comparable à celui d'une limace, un moral en berne, l'alcootest qui vire au vert tous les soirs, je doute, je ne vois pas d'issue. C'est tellement compliqué de pouvoir sortir de ce métier d'instit avec le projet que j'ai, et là le but n'existe plus.

Nous sommes dans une grande maison, certes, nous avons mis de l'argent de côté, re-certes, mais nous ne sommes pas chez nous. Ce qui devait être temporaire ne l'est plus vraiment. Toutes nos affaires sont en cartons entassés au sous-sol, seul le nécessaire est installé. La cohabitation avec le grand-père est difficile, horaires différents, habitudes différentes, mode de vie différent... Tous les soirs à heure fixe un repas adapté doit lui être servi, le petit déjeuner du lendemain préparé, les médicaments aussi, plus la vie quotidienne, l'hygiène, les soins que lui prodigue ma femme. Sans compter les allées et venues de la famille et des amis du grand-père qui ont la clé et entrent sans prévenir, normal, compréhensible, mais gênant...L'infirmière, le pédicure, l'aide à domicile qui vient tous les jours de la semaine, une vieille fille bavarde et curieuse, pfff...

À l'école tout dégénère aussi. On presse les filles le matin pour partir à 7h15, puis transports, puis marche pour arriver dans une classe que je n'ai plus envie d'animer. Les enfants sont durs, pas méchants, mais incapables de se poser, sans cesse en mouvement. Chaque année je l'ai constaté davantage, cette incapacité qu'ils ont de se calmer, d'écouter, déclenchant des bagarres ou des disputes qui tournent au mélodrame fréquemment. Je remets en place des outils qui ont fonctionné les années passées, système de points de comportement qui peuvent être perdus et regagnés, confiance en eux, regard juste, humour, prise en compte de chacun d'eux... Mais j'en ai marre, tout cela me demande des efforts parce que l'envie n'est plus là. Ce n'est que rappels à l'ordre toute la journée, surveillance constante, gestion de conflits... Je n'y trouve aucun plaisir.

Quand au sens de ce que je fais... L'année passée je m'étais particulièrement occupé de deux enfants en perdition, j'en avais maintenu une dans ma classe, chose  rare en Grande Section, et à la fin de l'année je m'étais entendu avec les membre du RASED pour que la prise en charge de ces enfants soit poursuivie au CP le plus tôt possible, et que chacun soit dans une classe avec un maître ou une maîtresse expérimentée. Aux promesses de la fin du mois de juin ont succédé les aberrations de septembre: le RASED n'existe plus, victime des suppressions de poste, et un des deux élèves se retrouve dans la classe d'un maître... barré. Le genre à se taper la tête contre son armoire parce qu'il a oublié une pochette chez lui, le genre à être le premier arrivé et le dernier parti, à venir bosser le mercredi, bosser et bosser encore, sur quoi ? Jamais su, mais pas sur la relation qu'il a avec ses élèves c'est certain.

D'anciens élèves viennent dans ma classe me voler des affaires, d'autres ont déjà un comportement de petit caïd avec les intonations de voix ad hoc, les mêmes que tous les autres, plus de respect, plus de politesse, l'adulte est vu comme l'ennemi dont on se fout complètement, ils se mettent à mentir avec un aplomb incroyable, comme s'il était devenu impossible de perdre la face et de s'excuser à dix ans... Ils ont un niveau de merde, mais l'important est d'être une terreur dans sa classe, le must étant de faire pleurer, faire craquer tout nouvel enseignant. Ils sont mal dans leur peau, savent où ils sont, savent que leur avenir est conditionné par leur milieu. Je crois qu'au fond d'eux ils savent ce que nous faisons pour eux, mais comment tolérer sa vie quand plus haut on se fiche d'eux, on les dénigre, on les expulse, on les ignore?

® Danger École
Mais ils sont à l'école. Et l'école française va mal. Alors on dresse des constats, on compare le système avec celui des autres pays, et on lance des actions mûrement réfléchies: on supprime des postes, on rend obligatoire l'apprentissage de la Marseillaise, on évalue tout, et tout le temps, on glorifie le temps passé en se convaincant que c'était l'idéal. Tout le monde est sous pression, on nous demande de rendre des comptes, de ficher, de faire des rapports, on nous oblige à suivre des formations inutiles, à en faire toujours plus sans réfléchir à la pertinence de ce qu'on fait... Rien de ce qu'on fait n'est valorisé, aucune initiative n'est remarquée ni encouragée, il faut juste obéir.
Ma femme se fait inspecter pendant cette période. On lui dit sans ciller que pour être un bon prof maintenant, il est préférable de ne pas avoir d'enfants...

J'ai emmené à deux reprises mes élèves des années précédentes en classe de découvertes. Ce fut difficile à mettre en place, long, des 12 000€ à trouver sans aucune autre aide que la subvention municipale, à l'embauche des animateurs dont l'un me fait faux bond à quelques heures du départ, par texto... Je suis fier de l'avoir fait, j'ai passé à chaque fois une semaine magnifique, les enfants en ont bénéficié d'une façon incroyable, pleurant même la veille du retour car ils ne voulaient pas revenir chez eux... Un coup dans le cœur ça... Mais voilà, une fois le séjour terminé, cette entreprise bénévole et chronophage laisse la hiérarchie indifférente. Juste obéir.
Et quand "j'ose" dire à un parent qu'il faudrait que son môme se calme en classe, je m'entends dire que je me trompe, son gamin est parfait, je n'ai pas de patience et en plus je n'emmène pas cette année les élèves en vacances (sic). Trop, c'est trop.

Plus de plaisir, pas de sens, comment continuer à exercer ce métier inutile et déprimant ? Je me sens comme un bouchon doseur de lessive vide placé dans un tambour de machine à laver, à être pris dans un cycle violent mais qui ne lave rien...

Il va falloir trouver, dans ces mois sombres et humides de début d'hiver, une branche à laquelle m'accrocher, parce que là, je coule, lentement et chaque jour un peu plus.




2 commentaires:

Ta Nanoo a dit…

Comme tout ça est dramatiquement vrai... désespérant de vérité... Chaque enseignant un peu consciencieux a ressenti ce découragement, cet abattement, ce besoin de hurler, et puis, finalement la fatalité d'un monde qui ne change pas comme il faut...
Il n'y a pas de solutions... juste des arrangements, des mises en place de bric à brac pour surnager, pour y croire encore... parfois, pour y prendre encore un peu de plaisir... parfois.
Mais pour toi il y a eu une vraie porte de sortie! une belle porte lumineuse! et aujourd'hui, c'est ça qui est important!

Pascal Le Mée a dit…

Très beau commentaire, très senti, comme si tu étais du métier ;-)